A l'heure où le ministre des transports entend mettre en œuvre la stratégie de relance portuaire afin d'accentuer la "compétitivité" des ports français dans le commerce international, comment protéger la biodiversité des littoraux ?

Le porte-conteneur est l'emblème de la mondialisation des marchandises, et les grands ports de la planète rivalisent pour capter le trafic. Dans ce contexte de mobilité et d'interdépendance, la France est la cinquième puissance portuaire européenne, avec plus de 360 millions de tonnes de fret et 30 millions de passagers. Son espace maritime est le deuxième au monde, derrière celui des États-Unis, avec 11 millions de km2. Le foncier des grands ports maritimes français est estimé à 35.000 hectares avec Marseille et Le Havre placés aux cinquième et sixième rangs européens en volume total de marchandises traitées. L'ensemble de l'activité maritime (flotte, ports, pêche, industrie navale, État, recherche, etc.), en dehors du tourisme littoral, génère plus de 300.000 emplois directs dans les bassins locaux.

Pour renforcer leurs atouts face à la concurrence, les ports français cherchent à devenir des "architectes" de solutions logistiques maritimes et terrestres, sur un arrière-pays projeté à l'échelle européenne. Ils entendent devenir des acteurs de la mise en place de chaînes de transports et se veulent investis d'un nouveau rôle fondé sur une approche intégrée d'aménageur et de gestionnaire de leurs espaces dans toutes leurs composantes : industrialo-portuaires, naturelles, urbaines, en liaison avec les territoires sur lesquels ils s'adossent. Les cités portuaires ont aussi des responsabilités spécifiques vis-à-vis de leurs espaces naturels, et cherchent à les intégrer dans leur stratégie d'aménagement.

 

Conserver les habitats

Certaines villes portuaires élaborent ainsi des outils d'aménagement du territoire pour identifier des corridors écologiques et des nœuds de biodiversité (trames vertes et bleues), faciliter l'interaction entre la ville et le port et traduire les objectifs du port en matière de développement durable avant de les décliner dans des actions concrètes, à l'image des schémas réalisés à Dunkerque, à Marseille et conjointement par Le Havre et Rouen, afin de gérer sur le long terme les espaces naturels. Sur le port de Dunkerque, des mesures de protection foncière et de conservation des habitats dunaires ont été entreprises, ainsi que des mesures conservatoires des zones humides.

C'est ainsi que le port de Dunkerque s'engage à conserver et gérer 1.290 hectares d'espaces dédiés à la conservation de la biodiversité dans le cadre de son programme d'aménagement à long terme. Cela représente 43% des 3.000 hectares de surface restant disponibles aux aménagements et un engagement financier de 9,7 millions d'euros étalé sur 30 ans. Deux principaux axes ont été définis : d'une part, conserver les milieux naturels, d'autre part, restaurer et développer la diversité des espèces. Des noyaux de biodiversité seront répartis sur le territoire, soit en raison de leur biodiversité élevée à conserver, soit parce qu'ils sont dégradés et ont vocation à être recréés. Exemples : la conservation des habitats des sternes et des amphibiens, la recréation de dépressions humides dunaires, la renaturation de digues, ou bien des mesures agro-environnementales visant à remplacer des zones d'agriculture intensive par des pâturages et des espaces naturels. Le point de départ de ces orientations a été le lancement d'un inventaire du patrimoine naturel depuis mars 2011, dans le cadre du Schéma directeur du patrimoine naturel (SDPN), qui a vocation à constituer la trame de référence des réseaux biologiques régionaux du Nord-Pas-de-Calais.

 

Anticiper plutôt que compenser

Dunkerque-Port est allé jusqu'à calculer la valeur de la conservation des écosystèmes à travers un indice d'intérêt écologique global. Le territoire a été découpé en unités homogènes auxquelles ont été affectées des notes pour différents facteurs écologiques : habitats naturels, flore, faune, présence d'espèces protégées. Cet indice global cherche à traduire en une seule valeur la qualité écologique des espaces portuaires. Il permet de cartographier les zones portuaires à fort coefficient écologique, faisant ainsi apparaître des zones contrastées, comme les bassins et les avants-ports, qui jouent un rôle de réserve pour les poissons et de refuge pour les oiseaux, au milieu d'un environnement fortement artificialisé. L'objectif est de rapporter cet indice de biodiversité aux aménagements prévus, qui permettra d'estimer l'emprise des espaces conservés et potentiellement détruits.

Pour Syvain Pioch, les villes portuaires pourraient avoir pour mission d'aménager et de "gérer" l'environnement. "Un nouveau modèle est à développer", a souligné ce maître de conférence à l'Université Montpellier 3, lors d'un débat sur la biodiversité dans les ports, organisé à Dunkerque par l'organisme de formation Ideal Connaissances le 28 mai : développer l'éco-conception maritime en anticipant les effets des infrastructures, et en les intégrant aux écosystèmes, par exemple en préservant les nourriceries côtières de poissons juvéniles. Car estimer le coût d'une compensation reste délicat, mieux vaut développer des infrastructures éco-conçues, selon Sylvain Pioch, qui souligne qu'il existe dans le monde pas moins d'une quarantaine de méthode d'estimation de la "valeur" écologique d'un territoire. Quant à la compensation d'espèces ou de fonctions écologiques, elle suppose, outre la monétarisation de la nature ainsi réduite à un flux de services, que les ressources et les espèces soient réversibles et substituables, et que les services écosystémiques soient infiniment renouvelables. Si un bar pêché en Atlantique a pour valeur 25€ le kilogramme, payer la compensation de sa perte n'aura une répercussion que relative sur le milieu naturel.

Article d'Agnès Sinaï pour Actu-environnement

Natacha