La loi sur l'économie sociale et solidaire qui sera présentée en juillet en Conseil des ministres doit marquer un tournant dans la reconnaissance du secteur. Les principales dispositions sont maintenant connues et la Banque publique d'investissement vient de dévoiler les outils de financement de l'ESS qu'elle souhaite mettre en place.

« Ce sera la première fois qu’une loi porte dans son titre l’économie sociale et solidaire. C’est ce que tout le monde voulait », salue Hugues Sibille, Vice-président du Crédit coopératif. De l’avis unanime des représentants et entreprises de l’ESS, cette loi c’est « d’abord et avant tout une reconnaissance », juge Mathieu Grosset, responsable du développement de Juratri une entreprise d’insertion de 130 salariés, leader en Franche-Comté sur la gestion des DEEE. « Le fait d’avoir un débat parlementaire va apporter de la visibilité et pourrait avoir un effet levier sur d’autres politiques publiques, notamment au niveau local », espère-t-il.
 

Périmètre inclusif

A un mois de sa présentation en Conseil des ministres*, on sait déjà que le périmètre de l’ESS va être élargi dans une approche « inclusive », selon les termes de Benoît Hamon, le ministre de l’ESS. Jusque-là ce périmètre faisait l’objet d’une querelle entre les partisans de l’identification traditionnelle par les statuts (Associations, coopératives, mutuelles) et ceux qui défendaient la primauté de l’utilité sociale comme critère de reconnaissance. « Si nous voulons que l’ESS change d’échelle, nous ne pouvons pas reconnaître uniquement les statuts qui y appartiennent de droit, mais il faut s’ouvrir à ce mouvement de l’entrepreneuriat social, c’est-à-dire cette possibilité de créer une entreprise selon des principes d’utilité sociale », souligne Benoît Hamon.

Le texte de loi prévoit un certain nombre de conditions cumulatives à respecter pour être reconnue « entreprise de l’économie sociale et solidaire ». Celles-ci ont à voir avec l’exigence d’utilité sociale de l’activité, l’encadrement de la gestion des bénéfices (constitution de réserves impartageables, réinvestissement de la majorité des bénéfices dans l’entreprise, encadrement des éventuels bénéfices redistribuables aux associés) et à l’intégration de principes de gouvernance démocratique. « Cette vision inclusive et non coercitive montre que le ministre a bien compris les enjeux », adoube Claude Alphandéry, président du Think tank Le Labo de l’ESS.

Pour Christophe Chevalier, porte-parole du Coorace (fédération d’acteurs de l’insertion et de l’action sociale) et président du Groupe Archer, « plus que le secteur, cette loi reconnaît des modèles d’action économiques différents ». La loi accorde en effet de la place à toute une série de formes d’entreprise alternatives telles que les coopératives d’activités et d’emploi ou encore les Pôles territoriaux de coopération économique qui sont les pôles de compétitivité de l’ESS.
 

Un agrément renforcé

De ce nouveau périmètre découle la révision de l’agrément préfectoral « entreprise solidaire » qui deviendra « entreprise solidaire d’utilité sociale ». Cet agrément, qui jusque-là ne concernait principalement que les conditions d’emploi des personnes (notamment les emplois d’insertion) sera réorienté fortement sur la vérification de l’objectif d’utilité sociale de l’entreprise. La loi prévoit notamment que les collectivités publiques pourront rendre plus aisées l’accès des entreprises agréées aux marchés publics via la passation de marchés réservés. Le deuxième intérêt de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » sera d’accéder aux nouveaux outils de financement destinés à flécher vers l’ESS les 500 millions € de la Banque publique d’investissement.

 

Soutien à la croissance et à l’innovation sociale

Une première ébauche de ces outils a été rendue publique le 31 mai dernier par la Bpi. La croissance des entreprises de l’ESS et notamment des Société coopératives de production (Scop) devrait en bénéficier. Un fonds de fonds dont le montant pourrait atteindre 100 millions € sera orienté sur trois axes : le financement des entreprise de l’ESS via les acteurs du financement spécialisés (France Active, banques spécialisées comme La Nef…), la structuration du marché français du capital investissement à fort impact social (le fameux impact investing) et enfin les Scop.

La loi prévoit en effet de favoriser la transmission d’entreprises en Scop via la création d’un droit d’information prioritaire des salariés en cas de projet de reprise de leur entreprise et la création d’un statut transitoire de Scop. Ce statut offrira l’opportunité à un groupe de salariés, désireux de reprendre leur entreprise d’obtenir un soutien d’investisseurs extérieurs qui lèvera l’obstacle du rachat mais dérogera à la règle de l’actionnariat salarié majoritaire qui prévaut dans les Scop.

Un dernier axe de financement devrait être au programme de la Bpi avec le financement de l’innovation sociale qui trouvera sa première définition légale dans la loi présentée en juillet. Au total 500 millions € sont promis à l’ESS, mais ce n’est pas un maximum précise le communiqué de Bercy.
 

* Selon le calendrier législatif. Le projet de loi-cadre de l’ESS, initialement prévu pour avril, parviendra tout de même à s’extraire de l’embouteillage législatif pour être examiné par les deux assemblées lors de la session parlementaire extraordinaire  qui aura lieu à la rentrée.

Actualisation: le 24 juillet, le projet de loi a été présenté en conseil des ministres. Il est violemment critiqué par le patronat (Medef, CGPME et UPA) concernant le volet sur la cession d'entreprise qui rajoute "une contrainte supplémentaire sur le dos des entreprises" selon Pierre Gattaz.

Philippe Chibani-Jacquot pour Novethic