L’OPEN SPACE S’EST LARGEMENT IMPOSÉ DANS LES ENTREPRISES FRANÇAISES, OÙ SEULS 40 % DES EMPLOYÉS DISPOSENT DÉSORMAIS D’UN BUREAU INDIVIDUEL. SYMBOLE D'UNE CULTURE DE TRAVAIL OUVERTE, À L'ANGLO-SAXONNE, IL PEINE À SE FAIRE UNE PLACE DANS LE CŒUR DES FRANÇAIS. ENQUÊTE.

Selon une enquête réalisée en 2011 par TNS-Sofres pour l'Observatoire de la qualité de vie au bureau (Actineo), on travaille à deux ou trois dans un espace (40 % des cas) ou dans des plateaux ouverts à quatre ou plus (14 %). Les open spaces à l’américaine ne sont pas encore la norme mais tendent à le devenir, car toutes les nouvelles constructions optent pour ce modèle d’aménagement, révèle Le Monde. 

Pourquoi un tel engouement ? Sans doute en premier lieu, pour des raisons économiques : en regroupant les salariés sur de vastes plateaux, les entreprises contournent l’explosion des prix de l’immobilier, notamment dans la région parisienne. Pas étonnant donc que la taille moyenne d’un poste de travail soit passée de 25 m² à 15 m² entre les années 1970 et aujourd’hui.

« Je n'ai pas conçu un ensemble de bureaux totalement cloisonné depuis plus d'une dizaine d'années », explique au Monde Jérôme Malet, fondateur associé de Saguez Workstyle, une entreprise d'aménagement des espaces de travail.

 

Au cours des années 2000, la France a adopté le modèle américain du bâtiment dit « épais », parce qu’il fait plus de 15 mètres de profondeur. Dans un tel espace, impossible d’élever des cloisons sous peine de priver certains salariés de la lumière naturelle : dans ces conditions, l'open space pouvait naturellement triompher.


> TRANSPARENCE BIENVENUE, OU RETOUR AU TAYLORISME ?

Le succès croissant de l’open space serait-il donc dû à ses atouts économiques ? Pas seulement. Aux yeux des managers, il incarne toutes les vertus de la communication, des échanges informels et d’une forme d’égalitarisme. Les niveaux hiérarchiques y sont en effet mélangés, même si certains patrons peuvent choisir de garder un bureau séparé. En tous les cas, l’information y circulerait mieux. Décloisonner l’espace pour libérer les idées : une sorte de « transparence » très ancrée dans la culture anglo-saxonne.

En France, il y aurait une rupture entre le consensus des aménageurs autour de l'open space, appuyé par ce discours managérial dominant, et le ressenti des salariés : pour certains l'open space n'est pas un symbole de modernité ou de transparence, mais plutôt un retour au taylorisme d’antan. Il faut dire que les premiers open spaces, nés à Londres, New York et Chicago, étaient inspirés de la salle de classe, avec un chef placé sur une estrade qui supervisait (surveillait ?) les dactylos et autres comptables, premiers « cobayes » de ce qui allait révolutionner le travail en le massifiant.
 


> OPEN SPACE, OPEN STRESS ?

Si les managers estiment que les plateaux augmentent les échanges professionnels, la plupart des chercheurs disent le contraire. Citant des études américaines, Thérèse Evette, cofondatrice du Laboratoire Espaces travail de l'ENSAPLV explique au Monde que « dans les grands espaces, la communication augmente certes en quantité mais baisse en qualité – elle donne lieu à des échanges qui sont professionnellement inutiles et qui finissent par déranger les salariés ».

Selon l'enquête TNS-Sofres, l'open space serait en effet plus difficile à vivre que le bureau individuel : seulement 63 % des salariés évoluant dans un open space se déclarent satisfaits de leur espace de travail, contre 90 % des salariés en bureau individuel.

Travailler sous les yeux de tous, toute la journée, peut également avoir un impact négatif sur les employés : le sentiment de surveillance et de compétition entre collègues et managers implique un contrôle de soi permanent et des comportements de façade, qui peuvent rapidement devenir une véritablesource d'épuisement et de stress.

« Tout le monde a besoin d'un peu d'ombre, d'un peu d'intimité, d'un peu de quant-à-soi, rappelle Danièle Linhart,sociologue du travail au Cresppa-CNRS. Il faut, dans une journée de travail, pouvoir, de temps en temps, prendre de la distance,souffler, adopter une posture de dérision ».

 

Pour finir, se concentrer dans un espace décloisonné peut également être très compliqué : conversations entre collègues, sonneries de téléphone, interruptions et cohabitation difficile entre les amateurs de climatisation et les autres. Une galère que Alexandre des Isnards et Thomas Zuber ont contribué à dénoncer dans un livre désormais célèbre : l'open space m'a tuer.

 


> UNE QUESTION D'ÉQUILIBRE

Conscients de cette insatisfaction, les concepteurs d'open spaces ont imaginé des astuces pour recloisonner en partie l’espace : « bureaux-cabines », cloisonnettes et armoires se sont progressivement fondus dans le décor, afin d’isoler les salariés qui le réclamaient. Autre nécessité : réduire au maximum les nuisances sonores en déplaçant notamment les machines bruyantes, imprimantes et photocopieuses, dans des pièces fermées.

Il ne s’agit donc plus de refuser un modèle, mais plutôt de l’adapter à notre culture qui est sans doute plus attachée à la hiérarchie et au respect de l’intimité de chacun. Il s’agirait aussi de trouver la juste mesure entre des plateaux accueillant une trentaine de personnes qui ne travaillent pas ensemble, et des bureaux rassemblant les membres d'une même équipe, dans ce second cas, le partage d'un même espace serait un excellent stimulant de la créativité.

« L'open space, s'il est bien aménagé, peut convenir à une équipe qui travaille de manière réellement collective autour d'un projet », confirme Thérèse Evette.

 

C’est pourquoi, après l’euphorie des premières années, les aménageurs d'espaces professionnels sont aujourd’hui à la recherche d'un certain équilibre :

« Nous rythmons l'espace avec des salles de réunions équipées de canapés ou de tables classiques, mais aussi avec des cafétérias et des lieux de détente comprenant, par exemple, des toboggans ou des babyfoots, explique Jérôme Malet. Ces espaces sont indispensables au bien-être, car ils créent un véritable art de vivre au bureau » 

 

En somme, il faut trouver le moyen d'humaniser l’open space, sans renoncer à un concept qui permet de mélanger des personnes qui ne se seraient probablement jamais rencontrées dans une entreprise « traditionnelle ».


Et pour écraser encore davantage les coûts, l'avenir pourrait-il être auxbureaux mobiles ? On serait porté à le croire, avec cette étude qui prévient qu'on s'achemine vers moins de 6 bureaux pour 10 salariés en moyenne, grâce notamment à un recours grandissant au télétravail... une flexibilité qui peut inquiéter, mais qui a aussi ses avantages.

Article paru sur le site RSLN